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3 août 2012 5 03 /08 /août /2012 15:27

Ca commence comme dans un rêve, un soir, sur un rocking-chair, dans la tiédeur suave que procure le rhum. La lune haute éclaire toute la voûte céleste, et les cirrhus font comme un toit argenté au-dessus de moi.

Je me laisse à imaginer qu’il s’agit de la voûte d’un gigantesque temple, ancien comme la nuit, grand comme le ciel, et les sept palmiers majestueux qui me font face forment un cercle, comme autant de piliers, comme autant de gardiens silencieux, balancés par le vent calme qui berce Foulpointe.

Une harmonie douce m’enveloppe, comme si  la nature me parlait. Des visages fugaces apparaissent dans les contours des nuages, ils semblent me sourire. Les amérindiens y voyaient des signes directs de la Nature et des esprits… Ce soir je suis un indien d’Amérique. Les esprits me chuchotent des messages à l’oreille.

 

Je me souviens d’un soir d’avril, il y a trois ans. Je fume une dernière cigarette, bien calé dans mon vélux, perché au-dessus  des toits, face au jardin. Au niveau des arbres et des roseaux qui bruissent et se balancent au gré du vent de printemps, comme une canopée agitée qui danse dans la nuit argentée. Une folle sarabande dont je suis le témoin émerveillé. La fraîcheur de la brise et ces mille bruits d’oiseaux, de feuilles entremêlées, sous le regard de la lune… La même impression folle de faire partie d’une fête, de ne faire qu’un avec  la nature.

La veille d’un accident de voiture sur l’autoroute, qui me laissera indemne, au mépris des statistiques et de la balistique vectorielle, valdinguant en tête à queue entre les autres voitures matinales, pour finir, carrosserie fumante sur la bande d’arrêt d’urgence, un peu choqué, sans avoir heurté personne. Dois-je y voir quelque chose ?? J’aime voir des signes autour de moi, imaginer des messages cachés dans tout ce qui m’entoure. J‘aperçois de la magie dans les éléments naturels. Je suis peut-être indien, après tout.

 

Un indien à Madagascar. Madagascar, un nom qui invite au voyage, qui parle d’épices, de tissus, de plantes et d’animaux rares. Qui parle de batailles et de conquêtes, de Compagnie des Indes, de trois-mâts battant pavillon français ou anglais, faisant le tour de l’Afrique par Bonne-Espérance les flancs chargés de richesses… 


On est partis de Tana il y a bientôt un mois. Traversé les hauts plateaux parsemés de rizières autour d’Antsirabé, poursuivi vers Ambositra et ses artisans du bois, Ambalavao et son immense marché de zébus. Le long de la RN7, on a sillonné les chaînes de montagne escarpées, puis les hauteurs tourmentées dignes de décors de Western avant d’arriver à la grande plaine qui précède le massif de l’Isalo, ses ravines et ses piscines naturelles.

Lentement, la montagne a fait place à des étendues gigantesques, de plus en plus arides pour arriver plein sud-ouest à Tuléar, une ville de poussière et de passage, où j’imagine les Corto Maltese de tous coins s’encanailler dans les bars glauques avant de reprendre la route, pour d’autres villes et d’autres bars, et d’autres histoires à raconter…

 

Quelques jours à Anakao, le soulagement de revoir l’océan, ses immenses plages et son eau verte, ses pêcheurs qui rentrent le soir au soleil couchant, pour nous gaver de poisson frais, de riz malgache et de rhums arrangés. Une petite paillotte au bord de l’eau, sans eau courante, la douche au seau et l’électricité quelques heures, au milieu d’italiens volubiles et de mamies dansantes au son des guitares et des percus…


Puis remonter la RN7, passer à Fiana, sa vieille ville et son palais de la reine qui n’existe plus, pour mieux rater le fameux train bringuebalant au bord des précipices et des cascades paraît-il… Nous, on l’aura fait en voiture en passant par Ranomafana, son parc aux lémuriens, sa forêt tropicale et brumeuse, ses plats de Mine Sao noyées dans la THB, dans des gargottes improbables, au son trépidant et obnubilant d’une RN’B tropicale, mélangée de malgache et d’anglais approximatifs.

Tout ça pour arriver à Manakara, plein est, longer le canal des Pangalanes en pirogue, auprès d’un guide volubile et incompréhensible, les filaos au bord de la plage, les rouleaux sans fin qui s’écrasent sur le sable, et des rêveries arrosées le soir au son de la mer qui chante…

 

Deux langoustes grillées plus tard, un peu de route, et on est à Foulpointe, plus au nord sur la côte est. Une plage de payottes de pêcheurs, de milliers de vendeurs de colliers, noix de coco, fruits et articles en tout genre, qui nous épuisent à nous solliciter en permanence. Un petit village sympa au bout d’une route défoncée, mais on sent qu’on se rapproche de plus en plus de la Mada touristique, on est des Wasaha, des blancs, et j’ai l’impression plus qu’ailleurs d’être un porte-monnaie ambulant, une maillon de la chaîne du tourisme sauvage, qui voit les enfants de tout âge chercher à te fourguer n’importe quoi. Un goût amer au fonds de la gorge pour te rappeler que les voyages au bout du monde ne sont plus innocents depuis longtemps.

 

Au passage on a vu les Indris, ces lémuriens géants dont les cris stridents et angoissants résonnent dans les forêts primaires des environs d’Andasibé. Des sortes de koalas énormes virevoltant d’arbre en arbre, en famille de quatre ou cinq, se soignant en mangeant les feuilles des mêmes plantes médicinales que leurs cousins les hommes vendent à prix d’or sous forme d’huiles essentielles à nous autres déçus de l’industrie pharmaceutique.

 

Soanierana-Ivongo. Là où la route s’arrête. Encore un petit village de pêcheurs, plein de poussière, de bruit, de dizaines d’échoppes. Plus loin vers le nord, on passe la rivière par un bac antédiluvien, et commencent les pistes défoncées, longues de milliers de kilomètres, de la côte de girofle, jusqu’à Diego Suarez. Pour nous c’est la fin de la route, l’embarcadère vers Sainte Marie, petite île à quelques kilomètres des côtes de la grande terre, connue pour sa douceur de vivre, et, ses baleines…

Scruter sans fin l’horizon, imaginer voir un dos de cétacé à la moindre vague, les yeux brillants, la mer redevenue enfin un espace inexploré, plein de mystères merveilleux… Comme avec les fauves en Tanzanie, on redevient enfant,  on a d’avance des frissons d’attendre la première sortie à l’aube demain.

 

Un indien d’Amérique au milieu des baleines ?

 

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