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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 19:14

Nuque maladive et teint fiévreux, il tenait à peine debout.

La longue salle froide le dominait de toute sa démentielle grandeur, enflée jusqu'à la gueule du chant glorieux qui ébranlait ses voûtes.

 

La foule chantait, droite et fière, lui rappelant combien était sombre sa propre destinée : simple enfant de l'amour, sensible aux vents nucléaires porteurs de mort qui dévalaient la vallée, il contemplait le Peuple Elu.

 

Derniers nés, Trembleurs du monde, tels étaient les noms qu'ils s'offraient.

Enfants de l'eugénisme, clones parfaits issus de la guerre, ils étaient assemblés dans la nef. Toutes couleurs mêlées, sangs de mille terres, ils étaient le fruit d'une nouvelle disgrâce.

"Que meurent donc les serfs du nouveau siècle disaient-ils. Que l''homo sapiens s'éteigne s'il ne sait pas lutter"

A la discrimination qui frappait leurs pères, ils répondaient par l'oubli.

A la mort qui rongeait les simples hommes, ils acquiescaient.

 

Au bord de la maison de Dieu, qui avait un jour cru aimer tous ses enfants, il se tenait, chétif reste d'un monde où on croyait en des valeurs perdues, et observait la foule.

 

Lorsqu'il s'avança, leur mépris le suivit loin dans le silence arraché à la nef. Arrivé près du choeur, Il se retourna. Le chant prêt à s'élancer vers le ciel vacilla pour s'éteindre.

Alors que les plus indignés d'entre eux s'apprêtaient à sévir et chasser ce rebut de toute humanité, il planta fermement ses pieds dans le sol. Dans le silence hostile de la foule contrariée, s'éleva alors une note solitaire.

Tenue, vacillante d'abord, si bien qu'un souffle aurait pu l'éteindre, elle s'éleva sans faillir, suspendue à l'écho qu'elle faisait s'élever.

Le silence se fit plus intrigué, autour de la forme soudain redressée.

S'enfla alors la complainte, sanglot intime, apaisé, renoncement déchiré d'un coeur qui se brise, ode sans paroles. Et tandis que les fidèles incrédules sentaient leurs yeux se charger de peine, il étendit les bras.

L'espace d'un instant, il abolit le temps, il abolit la peine, et tout ce qui faisait qu'il était déjà mort. Il oublia l'angoisse et son peuple ruiné, englouti par les cendres de la fin de son monde, et donna à ses morts leur premier vrai hommage.

Enfin il était là, au sein de Notre Dame, aguerri et fourbu, pour cracher à la face du nouveau prédateur : "Oui tout ce monde est tien, et nous allons partir, mais nous avons vécu, et aimé, et souffert, et il n'est rien ici-bas que nous n'ayons construit."

 

Chétif et contrefait, un seigneur sortit de la cathédrale, l'oeil vissé au loin.

 

"Tout ce qui ne nous tue pas nous endurcit", disaient les anciens.

Tout ce qui nous différencie nous tuera-t-il un jour?

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