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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 08:11

 

Normalement, c'est la fin de l'automne, les premiers frimas, les lumières de Noël au loin, un mois chargé d'émotions d'enfance, dont le premier jour est toujours un petit clin d'oeil ravi. C'est mon mois fétiche, trois semaines avant Noël, et j'ai beau ne plus être un enfant depuis longtemps, c'est toujours un pied intégral...

Plic, plac, ploc, les gouttes de sueur qui coulent de mon front et tombent sur le carrelage, la chaleur lourde de l'été indien, les noirs nuages et les averses imprévisibles de la saison des pluies qui démarre. Changement d'ambiance, roulements de tambours, est-on vraiment en décembre?

Il n'y a pas que pour moi que l'ambiance est bizarre, le temps semble un peu s'être arrêté sur Mayotte, depuis la suspension des grèves début novembre. Quarante quatres jour de conflits. Et toujours pas d'accord signé trois semaines plus tard. On vit dans une parenthèse indécise, une parodie de tranquilité rythmée par les rumeurs de reprise de grève. Demain, dans deux jours, lundi prochain, c'est sûr... on y retourne. Doit on prévoir quelque chose? A nouveau remplir le frigo, prendre une bouteille de gaz d'avance... Et pourtant la vie semble avoir repris son cours. Des premiers pas un peu timides et l'air de marcher sur des oeufs. mais on revit malgré tout.

 

Je n'avais pas pu me rendre à Mamoudzou depuis mi septembre, deux mois auparavant, lorsque je descends la route du littoral pour la première fois. Longoni, Koungou, Majicavo, des noms entendus mille fois au fil des heures passées devant la radio. Des villages, bien connus auparavant et devenus symboles d'émeutes, d'affrontements, de violence. En une journée tout a l'air redevenu normal. A peine une carcasse de voiture brûlée sur le côté. Un manguier découpé dans un fossé. On a peine à imaginer la situation de la veille, derrière les scènes de vie habituelles qui déroulent leur fil sous nos yeux.

Que de violence contenue derrière cette façade. Prête à exploser de nouveau.

 

On revoit des scènes, des impressions au hasard qui défilent devant les yeux au moment où on ne les attend pas. Deux semaines bloqués dans le village. Se lever le matin la boule au ventre. Combien d'arbres abattus sur la route? On peut passer à pied ou c'est trop chaud? Les rumeurs courent dans tous les sens, complètement incontrôlables : " L'armée va intervenir. On va être rapatriés. L'état d'urgence est proche..." On ne sait plus s'il faut souhaiter l'intervention des gendarmes pour lever les barrages, tant la tension est exacerbée après leur passage, ou laisser la situation s'enkyster doucement. 

On ne sait plus si on reste ou si on rentre en métropole. Certains se sont réfugiés à la Réunion, au plus fort des conflits, il suffit de s'être trouvé au mauvais endroit au mauvais moment et le trouble social peut devenir un traumatisme personnel. On entend beaucoup de choses. Il y a eu des agressions, un viol, dans le sud. Les insultes et les provocations peuvent survenir à tout moment. Caillassages aux barrages. Ambulances et pompiers bloqués. Les transferts vers l'hopital se font de jour, quand c'est possible, en bateau ou en hélicoptère. La nuit on est seuls au monde. La délinquance qui existait à Mayotte, portée par la misère et les injustices, flambe au coeur du conflit, les forces de police sont occupées ailleurs. Personnellement pas de gros souci à part quelques détails. On est connus dans le village. C'est dans les dispensaires que la situation est très compliquée.

 

Que tout cela pèse lourd à porter. Le poids des inquiétudes d'aujourd'hui. Le poids du passé aussi. On prend dans le ventre comme un coup de poing la violence et le ressentiment étouffés de toute une population qui laisse rejaillir les années de frustration et d'injustice ressenties. Notre communauté, qui n'est rien qu'une couleur de peau, est le symbole d'une France qui a laissé la misère et le non-droit s'intaller. Un tiers de la population est clandestine, cachée dans les bidonvilles ou au fonds des forêts. Six mille orphelins de parents expulsés, sont laissés dans la rue se débrouiller seuls. 80 % de la population a moins de 25 ans, peu d'emplois, pas ou presque de formation après le lycée. La misère est étouffante. La vie est chère et dure, ici juste un peu plus qu'ailleurs. Les élus ont longtemps fait rêver Mayotte que tout serait réglé par la départementalisation. L'atterrissage est difficile. Pour ce qui est d'être aidée, Mayotte reste bloquée au fonds de l'océan indien, mais ses soucis se mondialisent. La France du bout du monde n'a plus d'argent pour nourrir sa famille, et le dernier-né est bien gourmand à ses yeux éloignés. Une mère un peu revêche pour l'enfant voulu à contrecoeur.

Pour certains dans le monde, la France représente les droits de l'homme, la philosophie des lumières (que je mettrai sans H et sans L, faut arrêter de se raconter plus beau qu'on n'est). Pour d'autres, plus nombreux, c'est Vuitton, le luxe, Paris, le romantisme, la grande cuisine... Et pour beaucoup un petit pays peuplé d'emmerdeurs fats qui pètent plus haut que leur cul et s'imaginent plus malins et raffinés que tout le monde.

Pour les mahorais qui n'ont pas la chance d'être riche ou fonctionnaire (ce qui est assez proche ici), la France c'est un pays lointain et un peu méprisant, qui envoie sur place une armée de colons profs flics ou médecins, qui se reproduisent entre eux et ne se mélangent pas. Depuis l'an dernier, c'est la suppression du droit musulman, l'introduction du cadastre qui va déposséder un paquet de petits propriétaires incapables de fournir une justification de leurs biens fonciers, des tonnes de taxes et un RSA à 120 euros.

 

Aucun métro n'est responsable à titre individuel de tout ce merdier, mais on l'est de façon commune. On représente la métropole, on en est parfois fiers. Et ces derniers temps, on a représenté une forme d'oppression pour beaucoup de mahorais. Cependant rien n'excusera la violence, les barrages, le racisme larvé qui ont pu secouer l'île par moments. Si personne n'a vécu les choses de la même façon, chacun d'entre nous a eu des moments difficiles. Chacun d'entre nous connaît des proches qui ont quitté Mayotte ou s'apprêtent à le faire. 

 

Pour ma part, il y a quelque chose de cassé entre Mayotte et moi, voire entre les mahorais et moi, tant certaines réactions ou attitudes me paraissent incompréhensibles. J'essaie de comprendre, de me mettre à leur place, chose que je n'aurais jamais pu faire il y a quinze jours, tant j'étais dans la colère et le ressentiment. A la longue, les choses se sont tassées, mon boulot me permet de rester au contact des gens et de relativiser. Je ne vais pas céder aux sirènes anxiogènes que j'ai fui en métropole, et qui commencent à apparaître ici, un peu partout.

Comme un clin d'oeil de mauvais goût, le premier signe patent d' intégration à la métropole, de départementalisation : le pessimisme.

Et si on déprimait ensemble ??

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5 novembre 2011 6 05 /11 /novembre /2011 09:38

Quarante jours...

Un samedi matin bien calme à Dzoumogné. Peu de voitures, des enfants qui gambadent dans la rue et la petite vie du quartier qui se met en place. A ceci près bien sûr que les deux supermarchés du village ont étés pillés et dévastés depuis longtemps. Deux fois de suite même... On les a refermé à la va-vite, mais que les stores métalliques gardent les stigmates de la colère de la population... Comment imaginer, en ce samedi matin tranquille, qu'on a étés bloqués toute la semaine ici. Que j'ai dû aller travailler dans le dispensaire local faute de pouvoir traverser l'île pour aller à Kahani.

 

Grève schizophrène. Week-ends tranquilles et semaines enfiévrées. Après deux jours de repos, le dimanche soir arrive et on se demande ce qui va se passer le lendemain matin. Dès cinq heures du matin, tous les jours de la semaine, on écoute la radio, on s'appelle entre nous, on essaie de savoir où ça bouche. On part la boule au ventre jusqu'au premier arbre abattu, et on fait demi tour. Sauf urgence, on n'essaie plus de passer, c'est trop compliqué. Soit on ne pourra pas repasser en arrière, soit on risque d'énerver les manifestants, provoquer au mieux quelques mots, au pire quelques volées de cailloux.

Entre temps, quand on n'a pas de chance, un arbre s'est abattu derrière nous. C'est le jeu auquel de moins en moins de gens acceptent de jouer.

 

Flash-back fugace d'un aller et retour à Maurice, d'une île accueillante, avec des airs d'Inde au sud, et de Seychelles au Nord... Dix jours de coupure, d'oubli plus ou moins facile. Dix jours d'un lagon turquoise pas si éloigné de Mayotte... Dix jours à jouer les touristes, à faire les magasins, en suivant plus ou moins son Guide du Routard. (dans la mesure ou Maurice est une île de routards)

Pas de souvenirs ramenés mais vingt kilos de vivres. On a appris que les choses empirent à la maison. Qu'il y a eu un mort. Des émeutes... Les rumeurs enflent et courent dans tous les sens au fur et à mesure que j'appelle les amis. Certains nous conseillent de ne pas rentrer, d'autres commencent à quitter l'île, d'autres sont beaucoup plus calmes...

 

Et on se retrouve "chez nous", sur le tarmac de Dzaoudzi, sur Petite Terre. Un peu groggys, un peu méfiants. L'île est morte, pas un chat, pas une voiture, et ce sera comme ça jusqu'à notre maison, et même encore deux jours de plus...

 

Mardi vingt cinq octobre. Six heures du matin. L'hélicoptère pase à basse altitude au-dessus de la maison. Inspection des barrages érigés la nuit. Le pont de Dzoumogné est bloqué.

J'apprendrai plus tard que le reste de l'île aura été épargné, ce matin là. Sept heures : Lucie est partie bosser. Je suis le témoin aveugle de quatre heures de guérilla urbaine, explosion de grenades lacrymos, fracas des caillassages entre jeunes et forces de l'ordre, à cinq cents mètres à vol d'oiseau de la maison. J'ai les yeux qui piquent dans le salon. Je pars un peu plus tard déposer du café et des biscottes au dispensaire du village, où tout le monde est bloqué sans rien à manger. Pendant ce temps les gendarmes libèrent le pont et poursuivent les jeunes dans les rues. Affrontements un peu partout. Gazage au jugé... Les villageois sont fous de rage. Je rentre vers midi. Des cailloux et des parpaings sont épars sur la route, devant notre grille. Des caddies en feu et des détritus partout un peu plus loin. Une carcasse de voiture brûlée au niveau du pont.

 

Les gendarmes finiront par partir. Laissant le champ libre aux barrages qui s'étendront dans tout le nord les jours qui suivront. Depuis on vit au jour le jour. On va travailler comme on peut. Selon l'état des routes. Au dispensaire, on transfère les patients graves par le bateau des pompiers qui débarque sur une grève au nord du village. Mais on tient le coup. On écoute les infos locales. Les ondes bruissent de tellement de rumeurs, on ne sait plus trop comment ça va évoluer.

 

Les négociations vont reprendre lundi après quand même quinze jours d'arrêt.  L'ancien préfet de Mayotte est revenu comme médiateur avec l'aval de Matignon... Des effets d'annonce alors que le grand silence règne en métropole. On n'est pas grand chose à côté du G20, ou d'un incendie à la Réunion, qui a vu Marie-Luce débarquer illico.

On a de quoi manger, on arrive à faire des courses, à trouver de l'essence, du gaz, en cherchant bien.

 

Chaque jour suffit sa peine.

 

 

 

 

 

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15 octobre 2011 6 15 /10 /octobre /2011 10:02

Coincés sur le ponton du port de plaisance, nous observons la barge faire une dernière fois demi-tour devant la pression de la foule qui veut rejoindre les négociations sur Petite Terre et forcer le passage. Un peu plus tôt, on a rebroussé chemin, après avoir passé une heure derrière une grille avec nos sacs de voyage, au milieu du tohu bohu, la tension qui monte, les syndicalistes qui peinent à maintenir les jeunes de Kaweni qui chantent à tue-tête et veulent passer. Derrière nous tous ceux qui veulent monter sur la barge pour rentrer chez eux. Ca va chauffer... Pas la peine, on s'échappe... Et là pas de taxi boat privé sur ce foutu ponton, il préfère rester chez lui, a peur pour son embarcation. Une trentaine de personnes un peu affolées qui cherchent à tout prix à embarquer sur n'importe quel bateau pour fuir le bordel. Nous restons là, avec nos sacs et le raz le bol qui monte, la seule mission : rejoindre l'aéroport.


Marie Luce Penchard est arrivée, la ministre de l'Outremer a interrompu les négociations pour recevoir les forces en présence, auditionner et peser de toute la puissance de l'état régalien pour rétablir l'ordre. Un interlocuteur de plus dans ce joyeux bordel, une journée de plus de grève totale, un peu plus de colère et de sentiment d'incompréhension.


Plusieurs bières et un paquet de clopes plus tard, on est sur un terre-plein en attendant d'improbables pizzas devant un camion et un télé bringuebalante, les surrénales vides, et la tête lourde. On a réussi à passer sur un petite barque de pêche, non sans heurts et en payant le passage. On retrouve des copains dans cette foule bigarrée, on regarde la retransmission des propos de la ministre... On ne sait pas ce qui va se passer mais il paraît que ça se transforme en émeute de l'autre côté, là où on était il y a deux heures. Marie Luce parle, et tout le monde crie, commente, tout le monde est chaud, en a marre. Les propos se radicalisent de toutes parts, nous compris. On est de moins en moins prêts à être diplomates. Les opinions se dévoilent. On est au bout d'une forme de cohabitation. Même si l'ambiance est relativement amicale.

 

Que se passera-t-il pendant notre absence?? On verra bien, nous sommes recueillis par un couple d'amis, Isabelle et Remy, pour passer la nuit. Quel soulagement. Demain les derniers barrages et l'aéroport de Dzaoudzi, puis l'île Maurice. C'est totalement irréel, après ce qu'on a vécu.

 

On pense à vous tous, qu'on laisse derrière, on espère que tout va bien se passer, que la colère et le mal-être seront entendus. Même si en ces temps difficiles pour tous, je ne sais pas si la compréhension est la principale qualité de ceux qui nous gouvernent...

 

 

Mais heureusement, on a Marie-Luce....

 

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13 octobre 2011 4 13 /10 /octobre /2011 15:17

Le dispensaire est vide... Pas un chat sur les routes, dans la brousse qui sépare Dzoumogné où je vis de Kahani où je travaille. Tout le monde est à Mamoudzou. Déterminée, la population ne baissera pas les bras. 10 000 à 15 000 personnes paraît il se pressent autour des centres névralgiques. Les négociations sont en cours et tout le monde est pendu à la radio, guettant un résultat.

 

Au delà de la revendication sur le prix des matières premières se profilent tant de soucis... Presque pas de revenus sociaux, un RSA en 2012 prévu au quart de la métropole. Pas ou presque de marché du travail sur l'île, et des licenciements à prévoir suite à la grève.... 

Une jeunesse omniprésente et complètement déboussolée, ayant l'impression qu'on ne sait lui parler que par la force et sans vraie perspective d'avenir... Et qui du coup n'a rien à perdre.

 

Pas le dernier à critiquer le système, j'en fais pourtant partie. Je n'ai pas l'impression de voler qui que ce soit, mais il suffit de regarder autour de soi pour voir la misère, ou d'ouvrir les oreilles un tant soit peu pour savoir les injustices que subit la population, en particulier les clandestins, qui sont si nombreux sur Mayotte.... Que faisons nous ici au juste?? Mayotte est elle plus heureuse avec nous? Schizophrénie ambiante...  Malaise de colon... J'ai beau savoir l'importance de mon boulot, je n'arrive plus à définir ma place dans une île gagnée par le mal de vivre. Je ne me trouve pas légitime pour parler de vie chère. Je soutiens le mouvement, mais je ne peux aller aux manifs vu l'éloignement du nord où nous vivons, et mes fonctions qui ne me permettent pas de faire grève.

 

L'ambiance est très étrange. Tout est en suspens en cet après-midi gris, où les averses ne rafraîchissent rien.

Enfin on parle de nous en métropole, on a l'impression d'être moins seuls, moins abandonnés, même si rien ne dit que la situation évoluera plus vite pour autant.

 

Que se passera-t-il dans quelques heures? Un accord sera-t-il trouvé, ce qui garantirait un énorme ouf de soulagement pour nous tous, ou aura-t-on une nouvelle rupture des négociations avec un pourrissement de la situation ?? Le préfet est acculé par les élus qui demandent sa démission, en stigmatisant publiquement les forces anti-émeutes et leur attitude violente. L'Etat est appelé à l'aide à grands cris et accusé d'indifférence. Le climat est tendu et il en faudrait peu pour que le feu ne reparte. Comme disent beaucoup de gens, aujourd'hui ça passe ou ça casse, et en cas d'échec du dialogue, l'ambiance risquerait franchement de se dégrader, barrages et affrontements publics plus nombreux que jamais. Les gens ont faim et sont en colère. On part tous les jours à la chasse pour trouver un magasin, on récupère du sucre, de la farine, ou du pain, on profite quand la station essence est ouverte pour se presser au milieu de la cohue. L'épuisement et la fébrilité sont palpables. Pourtant l'espoir est toujours présent, tenu, mais vivace. On ne peut rien faire de plus qu'attendre et avoir confiance. Lâcher prise, et faire en fonction de ce qui arrivera...

 

Ainsi se prépare la saison chaude sur l'île aux parfums, qui change si vite qu'on a du mal à voir ce qui nous attend demain... alors même que l'incertitude est sur les prochaines heures...

 

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13 octobre 2011 4 13 /10 /octobre /2011 11:25

Dix sept jours de grève. Dix sept jours de tension sociale. Manifestations à Maoudzou et ses alentours. Heurts parfois violents avec les forces de l'ordre. A l'origine une revendication sur la vie chère, et sur la baisse d'une série de produits de base. Les fameux "Mabawas", si chers aux Maorais, riz, gaz et j'en passe. Au bout du compte.... L'incompréhension. Le choc frontal de deux civilisations. Le constat d'une économie de subsistance devenue en quelques années économie sous contrôle. Le contrôle d'un monopole de grande distribution : La Sodifram (Société de distribution France Mayotte) notamment. Une économie jeune et fragile, maintenue sous perfusion et sans réelle vision à long terme pour développer sa propre production et devenir auto suffisante. Les taxes douanières sur des produits importés toujours plus chers... Les maux sont nombreux, les explications multiples, mais la population souffre. 

 

Et le fonds du malaise social qui ressurgit. Parallèlement à la manifestation, la jeunesse hurle sa colère, jeunes maorais désoeuvrés en période de vacances scolaires, et jeunes anjouanais dont les parents ont étés expulsés sans ménagement. Presque dix mille orphelins sur les routes, comment cela ne pouvait il pas exploser??

 

Blocages de routes, caillassages des forces de l'ordre, pompiers, ambulances parfois... Ambiance insurrectionelle dans les faubourgs de Mamoudzou... L'île est morte, les magasins fermés depuis longtemps. Plus grand chose à manger, plus beaucoup d'essence, parfois plus d'argent liquide... Selon les jours, les barrages routiers limitent toute sortie, on reste beaucoup à la maison. A devenir fou.

 

Paranoïa sur les ondes, tout circule et on ne sait qui croire. SMS intimant l'ordre de rester chez soi, rumeurs de barrages et de rackets un peu partout. Radios branchées en permanence sur les affrontements. On se sent otages d'une situation difficilement contrôlable.

 

Les barrages existent, les rackets de certaines bandes de gamins également. Les jets de pierre et des phénomènes brutaux de violence gratuite on en a tous vu ces derniers jours. Sur la base des faits grandit la peur de lendemains difficiles. Les négociations ont été rompues, un premier protocole d'accord rejeté il y a une semaine. Depuis chacun se prépare à la reprise des discussions.Le grand calme avant la tempête. L'ambiance est lourde.

 

On ne réalise pas à quel point la société de consommation nous étouffe dans sa toute puissance avant d'en avoir été privé. A quel point le manque de ressources nous angoisse et nous brutalise profondément. Le grand inconnu. Les rouages de la grande machine qui hoquète. Le souvenir de grands parents racontant la faim pendant la guerre... On n'a pas encore vraiment faim pour ceux qui ont des réserves mais on commence à manquer de tout. On surveille les portions. On économise et on découvre la valeur de ce qui vient à manquer. 

 

La colère gronde en sourdine. Dans certains endroits des cadavres de voitures brûlées en attestent. De véritables scènes de guerilla urbaine. Nous on est bloqués dans le nord de l'île. On continue à bosser parce que le dispensaire doit rester en vie.

 

Le stop, quand on circule, parler à ceux qu'on soigne, prendre le pouls de la population, c'est ce qui me permet de rester les pieds sur terre, de voir la gentillesse des maorais avec qui je discute, de comprendre leur point de vue. Ce qui me permet de ne pas complètement sombrer dans une espèce de paranoïa qui monte chez les Mzungus.

 

Trop de contrastes entre le niveau de vie des dix mille métropolitains et des deux cent mille autres habitants de l'île. Trop d'incompréhension. Pas assez de communication. Tout ça n'est pas bon pour l'avenir. Et les problèmes n'ont pas fini de surgir. La grande grève laissera l'économie maoraise exsangue et les licenciements ariveront à l'issue du conflit. Tout ce qui pourra montrer à Mayotte qu'elle n'est pas la dernière roue du carosse sera bon à prendre. Mais l'île au lagon est loin des préoccupations de la grande métropole. Les problèmes et les manques nombreux. Tout est  à faire.

 

Le jour J arrive. Le grand calme depuis quelques jours. Demain les négociations reprennent. Les délégations syndicales reviennent de la Réunion, où elles ont passé deux jours à constater les prix des produits de base chez la grande cousine que tout le monde envie ici. 

 

On espère tous la résolution du conflit. Si la mèche est longue, sa longueur n'est pas infinie. Et le grand baril de poudre peut réellement péter un grand coup.

 

Inch Allah...

 

 

 

 

 

 

 

 

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13 août 2011 6 13 /08 /août /2011 14:04

Les nouveaux arrivants me demandent parfois quelle est ma plage préférée à Mayotte, ce qui est un sujet complexe, sur lequel on peut discourir des heures entre nous. Il faut dire qu'il y a le choix : sable blanc, sable noir, plus ou moins proche du tombant coralien, marche dans la forêt obligatoire ou non... Orientée est ou ouest, plage à tortues, plage à voulé, plage à Mzungu...Chacun a sa préférée, on en change de temps en temps, pour ne pas en avoir marre... On est des privilégiés et on le sait.

D'ailleurs, après Mayotte, il y a souvent un douloureux temps d'adaptation, de sevrage... je crois que je ne pourrai plus me baigner en Bretagne avant un certain temps... J'ai été trop gâté. Ici toutes les plages sont magnifiques, sauvages pour la plupart, presque toujours peu fréquentées, puisqu'on n'est pas assez pour les remplir.

On y croise des tortues géantes, soit en train de nager, soit lors de leurs pontes la nuit à marée haute. On peut tomber sur des raies manta pour les plus chanceux, on nage cinq minutes en moyenne et on est au premier banc de corail plein de poissons multicolores... Quand on est vraiment verni, on peut même être le témoin mi-émerveillé mi-horrifié d'une émergence de bébés tortues, proie particulièrement appréciée des oiseaux et des gros poissons, qui ne se gênent pas pour se servir directement au sortir du nid. Pour finir sur les petits habitants des sables et des eaux, on peut difficilement éviter les Batman et les King Kong(les roussettes et les makis), et soit dit en passant, les premiers chient partout et les autres puent d'une façon insoutenable, comme ça vous aurez moins l'impression que je frime avec mes plages...

Chez nous, l'eau est à vingt cinq degrés en saison sèche, il y a quelques vagues, les alizés rafraîchissent l'air et on ne sent pas le soleil. La température monte jusqu'à trente degrés pendant la saison des pluies, le lagon est lisse et l'eau limpide, on arrive à peine à marcher sur le sable tellement il brûle.  Du haut de la route, où qu'on soit sur l'île, on voit de loin la grande barrière de corail qui fait blanchir d'écume la grosse houle de l'océan Indien, et à l'intérieur du lagon, un patchwork de couleurs, de l'eau verte, bleu nuit, ou turquoise selon la profondeur, le type de fonds ou les patates de corail qui affleurent.

La plage c'est un mode de vie. Il nous manque beaucoup de choses, et l'île est très petite, on n'a pas beaucoup de diversité dans les activités, mais on a la mer et les randos dans la forêt. Alors on en profite.

 

Mais pour en revenir à nos moutons, oui, j'ai bien une plage préférée. Dans le nord où je vis, un peu éloignée, un peu sauvage, rarement occupée... Une des premières que j'ai découverte : M'tsangafanou.  Je l'aime d'un sentiment bizarre, elle me rappelle le début du voyage, le début de l'aventure. C'est ma madeleine de Proust, d'ailleurs je n'y suis pas retourné depuis août dernier. Il faut marcher et un peu escalader, alors les six premiers mois j'avais ma béquille, et ensuite j'ai toujours repoussé les retrouvailles. Elle a un goût particulier pour moi cette petite crique, je ne veux pas y aller trop souvent, la préserver dans ma mémoire comme un souvenir un peu à part. Elle me rappelle la découverte de la liberté, les rêves de voyage et les choix de vie qui font peur, le grand saut dans l'inconnu. Le goût indescriptible d'un été unique et magique. Je ne sais pas si j'y retournerai avant mon départ, j'ai peur d'être déçu. Mais je peux vous dire comment y aller.

 

Après M'tsamboro, prends sur la droite au panneau qui t'indique la plage, descends dans le village de Mtsangadoua, et vas tout droit jusqu'au stade qui surplombe la mer... Gares ta voiture à cet endroit. Traverses le stade, le lagon sur ta droite, avec en vue au loin les ilôts du nord. De l'autre côté du terrain tu apercevras un sentier qui s'enfonce dans la forêt. Il longe la côte, au bord de la falaise, jusqu'à la plage de Mt'sangafanou. Tu vas traverser les broussailles et les palmiers durant un quart d'heure, sûrement rencontrer un ou deux zébus qui se prélassent à l'ombre des arbres. Sur le tronc d'un des premiers gros manguiers sur ta gauche tu verras un ruban rouge attaché. C'est le moment de prendre vers la droite, de descendre le petit sentier assez raide an faisant attention à ne pas glisser. Deux cent mètres et tu y es. La mer se dévoile soudain. La clarté des couleurs est incroyable. Une plage de sable blanc encadrée de falaises, plantée de palmiers, de badamiers, d'environ deux cents mètres de long. La mer d'un bleu sombre étincelant au soleil du mois d'août. le tombant tout proche, les îlots montagneux du Nord en contrepoint à l'horizon.

 

Voila la recette pour découvrir M'tsangafanou. La plage de mes premiers mois mahorais. Voire même de mes premiers émois. J'y emmenerai ceux qui viendront, promis...

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8 août 2011 1 08 /08 /août /2011 11:48

Les silhouettes s’estompent. Assises au bord du feu, elles s’inscrivent en ombres chinoises dans la lueur des flammèches qui dansent la gigue au clair de lune. Et je m’abandonne, lentement bercé par les verres de punch qui s’accumulent. L'odeur de bois qui se consume, la saveur de la viande grillée, se mêlent à l’engourdissement de la fatigue, la douce ivresse des rires qui se partagent et qui fusent dans la nuit. Allongé sur le dos, je me perds sous l’immense voûte étoilée, tranchée de part en part par la luminescence de la voie lactée.

 

C’est une étrange semaine. Touchée par la perte d’une amie. Loin là-bas en métropole. Mais de l’amer goût de la perte, je ne garde que l’hébétude de celui qui ne comprend pas. Je suis loin de tout, de vos rires comme de vos peines. Depuis quelques jours, je rêve des images sans queue ni tête. Des présences fugaces, des avertissements sombres, des sentences énigmatiques et vides de sens.

 

Dans le voyage il y a aussi les adieux et les larmes. Le regret de ne pas pouvoir être là, avec vous, à la maison, au point de me sentir comme un étranger. Je me réfugie dans une des seules prières de mes années cathé dont je me souvienne, qui pourrait presque sonner comme un proverbe zen, la prière de la sérénité : « Seigneur, donne-moi la force d’accepter ce que je ne peux pas changer, le courage de changer ce que je peux, et la sagesse de faire la différence entre les deux ».

 

Allongé dans l’herbe, en cette nuit de juillet, au bout du bout de la presqu’île de Sazilé, je savoure l’éloignement et l’abandon. Je suis écrasé par la nature, émerveillé par sa présence silencieuse. Départ de M’tsamoudou, dans le sud de l’île. Notre ami Omar a tout organisé. Départ à six, en fin de journée. Barque de pêcheur. On longe la pointe solitaire, le soleil est bas sur le lagon. On fait le tour de la presqu’île sauvage. A peine passé le cap sud, la plage de Sazilé se dévoile. Deux énormes baobabs trônent au bord de l’eau. Décharnés de leurs feuilles par la saison sèche, ils nous abriteront pour la nuit. Nous sommes accueillis par deux hommes qui nous indiquent la clairière ombragée, à la lisière de forêt, où nous pourrons rester. Ils protègent le site pour le rendre accueillant pour les pontes de tortues de mer. Pas de feu ni de baignade sur la plage après le coucher du soleil.

 

Trouver du bois, faire le feu dans la clairière, préparer à manger, planter les tentes, et enfin lâcher prise. Au bord de la forêt qui murmure, des makis qui caquètent, des roussettes qui planent silencieusement. Hypnotisés par les flammes, bercés par le bruit du ressac, engourdis par le rhum. On passe une soirée un peu en dehors du temps, une parenthèse magique, une cacophonie silencieuse. Accueillis par le ciel et les étoiles, tant que durera cette nuit.

 

Voilà le cadeau que m’offre Mayotte, à moi qui me sentait si mal à l’aise depuis quelques temps. J’étais à la fois touché par le mal du pays, et gagné par l’impression d’avoir fait le tour de cette partie du voyage, de n’avoir plus rien à faire ici. Un cadeau magnifique donc, un espace d’oubli et d’accueil, une immersion tête baissée dans la forêt, la mer et les étoiles, la douceur des éléments pour apaiser ma peine, et me rappeler pourquoi je suis tombé amoureux de cette île. Et le miracle au point du jour. La ponte d’une tortue de mer sur la plage. Et un peu plus loin, un peu plus tard, l’émergence de bébés tortues qui filent vers la mer, naviguant entre les prédateurs pour gagner le lagon protecteur.

 

Un lever de soleil majestueux, une journée au bord de l’eau, la lente préparation du voulé. Mabawas (ailes de poulet grillées à la braise), manioc, bananes grillées, poutou (piment), les cookies de Lucie comme touche familière… Sieste et baignade, plongée en snorkeling vers le tombant corallien tout proche. Un moment magique entre amis. Rien de mieux pour un peu oublier…

 

Dans la douceur de la saison sèche et des alizés, on tisse des liens qui se nouent  et s’étirent au rythme des départs et des adieux, des nouvelles arrivées. Ca rajoute sans doute au malaise dû à l’éloignement. Plusieurs proches sont partis il y a peu, retournés en métropole. Pour nous, le voyage continue. La vie à la mahoraise, Ramadan qui approche. Les plongées, les randonnées, le dispensaire. Je suis encore ici un an. J’ai l’intention d’en profiter encore et encore. Parce que même éloigné de mes racines, je suis aussi chez moi ici.

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 18:39

Il étend ses ailes dans la vallée, en contre-bas de la route qui traverse le village et descend vers Chiconi. Deux bâtiments trapus, ramassés, coiffés de vert, s’étalent en un long dénivelé. « Hôpital de Kahani », peut-on lire sur les panneaux indicateurs. Petit hôpital ou énorme dispensaire, c’est selon les goûts. On s’y presse dès sept heures. Plus de deux cents patients par jour en période épidémique, huit médecins qui s’y relaient sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sans compter le deuxième bâtiment abritant la maternité. 

 

Rien à voir avec M’tsangamouji, petit dispensaire périphérique du nord, ouvert le matin du lundi au vendredi, et tournant avec un médecin, une infirmière et deux aides-soignants et agents hospitaliers. Kahani est le dispensaire principal de la zone centre. Trois zones couvrent ainsi Mayotte : nord, centre et sud. Chaque zone comprend un gros dispensaire ouvert en permanence, et deux ou trois périphériques pour le suppléer aux heures ouvrables. Dix dispensaires, presque une trentaine de médecins. Quelques rares cabinets libéraux. Le système répond aux besoins médicaux de toute la population, exception faite bien sûr de la zone de Mamoudzou, la capitale. 

 

Une consultation de patients dits « chroniques », hypertendus, diabétiques ou tributaires de traitements au long cours, deux consultations « aigues » où se pressent toutes les pathologies,  médecine générale mêlée de maladies tropicales, baignée dans une précarité inégale mais souvent omniprésente. Deux salles gérant pansements, abcès, brûlures, et prises de sang, sont confiées aux infirmiers. Sans compter la pharmacie, qui délivre aux patients les traitements à la sortie de la « consult ».

Pour clore le bal, deux salles d’urgence, équipées de tout le matériel nécessaire. Ici, tout peut arriver. On gère toutes les urgences, souvent en tampon avant le transfert vers l’hôpital. C’est le ballet des perfusions, des aérosols, le va et vient des ambulances et des pompiers. Le calme plat ou le rush enfiévré, l’un succédant parfois à l’autre en quelques secondes. 

 

Une sacrée chouette équipe, mêlant mahorais et mzungus dans un joyeux bordel, où on est toujours caribou (invités) à table, où on rit pas mal, où on se tient les coudes. Parce qu’on est seuls en pointe. 

 

Voilà le théâtre des opérations. La scène où se joue la tragi-comédie de la vie et de la maladie. Là où s’opèrent quelques miracles, où le délicat équilibre des allées et venues, des pleurs et des plaintes, se construit jour après jour. On ne triche pas, on a les mains dans le cambouis et on sait pourquoi on est là. L’impression qu’on a tant à faire, et qu’on est un peu démunis. On se bat avec la maladie, certes, mais quand on rajoute la précarité, l’isolement, ou la clandestinité de certains, le cache-cache déloyal avec les autorités, on se retrouve parfois à rattraper par le col des situations ingérables. 

 

Il y a l’endroit où on se blinde pour ne pas voir toute l’horreur qui nous percute de plein fouet. Celui où l’on juge, où on donne des leçons, parce que c’est tellement plus rassurant que de chercher à comprendre l’infinitude de différences qui nous séparent. L’endroit où on devient un foutu colon, plus un soignant, en proclamant inconsciemment la suprématie de notre savoir-faire occidental. L’endroit où on ne peut pas ne pas savoir, puisqu’on est médecin, où c’est forcément toi qui bidonne ou qui truque, toi qui ne parle pas ma langue, toi qui dépend de mon bon vouloir et de mon pouvoir insensé. 

 

Mais il y a tous les endroits où ça passe, où ça colle, où je suis face à ta souffrance, à ton inquiétude, où je réponds à tes questions, où je sers vraiment à quelque chose. Le moment magique où je ne suis qu’écoute, et plus jugement, où ma fonction me transcende et où j’oublie mes peurs, et qui je suis, et mes incertitudes, et mes manques, et tous les lourds bagages que je trimballe avec moi. L’instant qui vaut toutes les peines, celui pour lequel on s’est tant battu. Ce qui fait qu’on est médecin, infirmier, sage-femme, soignants de tous bords, de toutes frontières. Une des seules choses qui sauve un peu notre maudite espèce de prédateurs détruisant peu à peu tout autour d’elle : la compassion. 

 

Poussé souvent à ma limite, au point d’inconfort qui me remet en cause sans cesse, je suis un médecin de dispensaire. Un peu dans la brousse, mais pas tant que ça non plus. A l’endroit où je cherche des réponses, où j’apprends tous les jours, où je pioche pour mieux rebondir.

 

Je crois que j’ai une chance folle…

 

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13 juillet 2011 3 13 /07 /juillet /2011 06:57

Un long dimanche de juillet.  Le ciel est d’un bleu azur presque électrique. Les alizés agitent  doucement les longues feuilles du palmier-voyageur qui veille sur la maison. Une Boueni cueille des hibiscus sur le mur extérieur de notre jardin. C’est la plus belle saison à Mayotte, la plus douce.


Lulu bosse aujourd’hui. Je suis seul. Je caresse doucement Mada, notre chienne, très occupée à me mordiller les orteils. Je laisse filer mes pensées, au-delà des collines qui surplombent le jardin, au-delà du vert intense des manguiers gigantesques. Loin vers M’tsamboro, le nord et ses côtes découpées et sauvages, puis plus loin, comme si je traversais le canal du Mozambique, la Tanzanie… L’intensité des couleurs de ce décor somptueux me brûle la rétine, me fige, hypnotisé. Et les images défilent, défilent.


Six mois que je suis revenu. Plus d’un an sur l’île, et quand je relis mes premiers articles sur ce blog, ça ressemble à une éternité. Déjà trois mois que je n’ai pas écrit. Je me suis un peu perdu dans ce petit coin de paradis. J’ai voulu retrouver les premiers instants du voyage, les souvenirs de la rencontre avec Mayotte : cette sensation de renaître, de ne plus avoir de limites, de rajeunir de dix ans. Tout ça dans un écrin magnifique, une île montagneuse, couverte d’une forêt sauvage, entourée d’un lagon bleu turquoise à souhait… L’alcool qui coule à flots, les copains et les fêtes à n’en plus finir. Plonger tête baissée dans une pseudo-liberté qui sort d’on ne sait pas où et t’accueille à bras ouverts…  Je ne suis pas le seul à m’être perdu ici. Il doit même y avoir un syndrome exprès pour décrire mon histoire.


 J’ai passé six mois à tourner en rond, avec ma béquille et mon moral en berne. Obnubilé par mes douleurs et l’impression que mon corps me lâche, que je vieillis à toute vitesse, que je ne m’en sortirai pas. Six mois à ronger mon frein, à désespérer de retrouver l’ambiance de cet été magique qui m’a fait entrevoir une nouvelle vie de voyages et de découverte. Mais six mois de Mayotte quand même, avec sa vie douce, la fin de la saison des pluies, la découverte de la Réunion. Mon emménagement avec Lucie et le début d’une vie à deux dans un cadre de rêve. Une autre Mayotte. Le même Boris. Un vrai bordel.

Plage de Trevani, un mardi d’été, face à la mer. Les palmiers ahanent au fil de l’air tiède. Je me retrouve peu à peu dans plus de solitude. Je suppose que cela fait partie du voyage, de l’éloignement. Ce sentiment diffus de ne plus savoir où on est, comme un manque, un vide. Beaucoup sont rentrés en métropole, moi j’en reviens et pourtant… je regarde au loin, là où je sais être les côtes de Madagascar. Le rêve m’accompagne toujours, je suis au bout du monde.


Les maorais vivent au rythme des mariages, des circoncisions rituelles qui sont de véritables fêtes ici, Ramadan arrive en aout et il ne sera bientôt plus temps. On croise sans arrêt des cars de Bouenis qui chantent, en se rendant aux cérémonies qui dureront plusieurs jours. La musique est omniprésente, enveloppante, parfois étouffante presque.

Pour nous, c’est la saison des concerts, des bivouacs sur la plage. On profite du ciel bleu et de la fraîcheur. C’est devenu calme au dispensaire. Les épidémies sont un peu en berne… Quelques cas de fièvre de la vallée du Rift dans le sud de l’île. Mais un peu plus de temps pour voir les patients, pour écouter, comprendre, essayer en tout cas.  Je marche enfin sans béquilles. Je renais peu à peu. J’ai commencé à randonner la semaine dernière, autour de la retenue collinaire de Dzoumogné, mon village. Tellement de merveilles encore à découvrir quand on s’enfonce dans la forêt ! On a croisé, après avoir traversé une petite rivière et monté une colline, une distillerie clandestine paumée dans la malavoune, des lits de camp épars encore jonchés de fringues, de chapeaux, de couvertures... On a cueilli des citrons sur l’arbre, au bord d’un chemin de montagne. Des milliers de bruits d’oiseaux, d’insectes, les caquètements des makis au loin… La forêt à perte de vue… le rêve.


Je n’en finis plus de m’étonner de pouvoir marcher. Tout s’est passé en juin, lors de mon retour à Paris. Je m’étais résigné à poser un arrêt de travail pour faire reposer ma jambe toujours douloureuse, le scanner fait à Mayotte n’était pas très rassurant…


Un truc de dingue : Trois jours avant je roulais encore dans une voiture pourrie sur une route poussiéreuse, à fonds dans les trous, les zébus au milieu et la patte qui flageole. Les après-midi passés à la plage à rêvasser au-dessous des palmiers secoués par les alizés. Quel choc de se retrouver à Paris, rue Montorgueuil, en sortant de la clinique. L’IRM sous le bras, avec un diagnostic de guérison de fracture confirmé, au milieu de la foule qui se presse joyeusement  pour profiter de  ce début de soirée de juin. Complètement hébété, j’allume une clope. Les deux réalités se confondent. On m’attend à dîner. Je ne sais plus où je suis. Mais que se passe-t-il au juste ???

Des foutues douleurs musculaires. Une séquelle due à l’appui partiel pendant six mois. Je vais devoir refaire de la viande, remuscler mon quadriceps magnégné.  Je nage de plus en plus et de mieux en mieux. Pas mal comme centre de rééducation le lagon de l’île aux parfums.


Une voile au loin. Solitaire. Une senteur d’ylang qui s’évapore. Un baobab chauve au bord d’une plage de sable noir… Des hibiscus rouge sur fond de ciel bleu… Des impressions éparses comme des flash de carte postale.  Voilà ce que je vous envoie. Vous me manquez. Mon pays, la famille, les amis… et tellement de détails infimes qui font la vie de tous les jours. Mais le voyage continue. Je regarde de l’avant. C’est au moins une chose que j’ai appris en partant.


Plein de bises et un très bel été à tous.

 

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10 avril 2011 7 10 /04 /avril /2011 09:32

Vendredi matin, Sainte Anne, charmante petite ville de la côte est de la Réunion. Pluie battante et ciel bas. Une jolie maison de plein pied nous abrite, retranchée derrière sa palissade de bois blanc, son gazon vert tendre et ses palmiers. On prend le temps d’un réveil paresseux, d’un de ces matins où le temps s’allonge indéfiniment et se savoure avec délectation. On est en vacances.
Je vis cette parenthèse d’une semaine comme un rêve éveillé : Découvrir une île magnifique, sauvage et luxuriante, faire connaissance avec l’esprit créole, se plonger dans un univers culinaire d’une richesse et d’une diversité passionnantes. Mais aussi vivre un très perturbant retour à la civilisation. Je me découvre fasciné par le grand navire de bois, de verre et d’acier qui se dévoile à mes yeux en débarquant de l’avion venant de Dzaoudzi : Aéroport Rolland Garros. Le souffle de l’air climatisé, les odeurs synthétiques et piquantes des nettoyants  industriels, les robinets à infra-rouge de toilettes futuristes, les rangées d’ascenseur, tout cela me paraît à la fois lointain et vaguement  familier. Si loin si proche. Je plane sans trop savoir où je me trouve. Il n’y a pas si longtemps, je serais venu ici en vacances, et j’aurais trouvé tout cela charmant et pittoresque. Aujourd’hui, pas mal angoissé par la conduite sur la nationale à 2x2 voies, interrogatif devant les centres commerciaux gigantesques, les mille boutiques différentes, je n’ai plus de repères.
Faire de La Réunion le symbole de la métropole au soleil, la vitrine de la civilisation triomphante au cœur de l’océan indien, c’est un truc que j’ai appris à Mayotte. Les cas médicaux que nous n’arrivons pas à traiter sont «évasanés» (au sens d’évacuation sanitaire) au centre hospitalier de Saint Denis, les entreprises réunionnaises compensent la plupart des manques de l’économie mahoraise encore balbutiante, et les sièges sociaux du secteur tertiaire à Mayotte ont tous leurs centres névralgiques entre Saint Denis, Saint Pierre, ou Saint n’importe qui. Au point que tout ce qui peut éventuellement manquer sur notre petite île se trouverait  facilement dans le moindre magasin de la grande sœur de l’autre côté de Madagascar si on écoutait les légendes urbaines mahoraises.
Ce qui est sûr, c’est que venant de Dzoumogné, l’« île intense », comme on dit ici, ça décoiffe! Les routes n’ont pas de trous, les voitures ne vrombissent pas comme des tanks russes en perdant une pièce tous les cinquante kilomètres, on ne trouve pas de zébus au milieu des tournants, et les enfants ne jouent pas à poil dans les caniveaux le long du bitume, au milieu de villages peuplés de cases en tôle et en coco tressé. On n’a pas l’impression de vivre au royaume de la jungle, environné de poussière et plongé dans la chaleur humide d’une île tropicale. Non, on a l’impression d’être en métropole en été, conduits à cent à l’heure sur une route digne du périph’ à l’heure de pointe dans la très silencieuse voiture d’Edmonde, une amie de mes parents, qui nous reçoit pour la semaine. En métropole, sur la côte d’azur par exemple, voitures rutilantes, villes grouillantes de monde, marinas magnifiques sur le littoral… En métropole, malgré les noms de ville et l’architecture créole… jusqu’à ce qu’on lève la tête.
Elle trône, puissante et impavide, la montagne tropicale, vert intense d’une végétation indécente de luxuriance, pans de pierre verticaux écrasants, ravins majestueux et incroyablement profonds s’étendant sur des kilomètres à l’intérieur de l’île qu’on devine au loin. Coiffée de lourds nuages gris sombre s’accrochant à ses flancs, qui nous interdisent de voir ses sommets embrumés, elle nous signifie que pénétrer ses secrets se mérite. Il faut grimper.
 Seulement ma jambe ne me le permet pas encore. On a donc tout sillonné en voiture, la rivière Langevin et ses chutes, le cirque de Salazie, le village de Hell Bourg perdu dans la montagne, où allait se ressourcer Rimbaud, la côte sud-est et les immenses coulées de lave du Piton de la Fournaise, dont certaines de 2007 fument encore…  On a visité Saint Paul, Saint Pierre, Saint Denis et la plupart des autres saints, même admiré les chapelles en dévotion au très populaire Saint Expédit. On est monté au plus près du volcan, au pas de Belle-Combe, plateforme au bord du cratère gigantesque, garnie d’un gîte d’étape d’où partent les randonnées, mais la brume nous a refusé toute vue du panorama. On ne contemple pas Monsieur le Piton de la Fournaise à midi. On se lève à l’aube pour aller lui rendre hommage. Désolé Grand Machin, je ne suis pas très dévot en ce moment, je m’incline devant Ta Majesté de loin, mais je ferai partie des fidèles une autre fois.
Une semaine pleine, pleine de panoramas, de nature sauvage, et de grands dénivelés. Une semaine de fraîcheur par rapport à Mayotte. Une semaine de courses de fringues, de cinés restos bars et autres sorties qui manquent parfois quand on vit loin de tout. La ville et la nature somptueuse. En une seule île.
Je suis devenu un zoreille, lassé de mon statut de mzungu. On sent ici aussi qu’on a du chemin à faire avant de se faire adopter. Que même en s’installant, il en faudrait, du temps, pour s’adapter à la culture créole, pour que les créoles nous acceptent. Si cela arrivait tout court. Et même si la Réunion est beaucoup plus accueillante que d’autres Dom, je suis un Zoreille, avant tout. Avant d’être Boris ou un autre, avant d’être médecin ou flic ou prof ou n’importe quoi, avant d’être rêveur ou passionné, sportif ou sédentaire, fêtard, paresseux, ou quoi que je puisse être, penser ou faire ; je suis d’abord un zoreille.
C’est un peu déroutant. Je sais d’où je viens, bien sûr, le poids de l’héritage de ce que je suis, surtout dans des endroits comme Mayotte, où la couleur de la peau joue tant. Je sais que je suis l’enfant d’une civilisation qui a colonisé le monde, l’a façonné à son envie, l’a pressé d’une main de fer durant des siècles pour son propre profit, et de bien des façons le fait encore. Je sais les massacres, les asservissements. Je sais que le 27 avril arrive dans peu de temps. Je sais sa portée au-delà des mots. Mon biculturalisme plus ou moins affirmé ne fait que me plonger dans des abîmes de perplexité et de remise en question sans atténuer le sens de ma responsabilité. Je suis un fils d’Afrique du Nord, mais je sens bien ici que je suis aussi fils d’une Europe guerrière et conquérante. Je porte cet héritage et je l’accepte.
Si je réfléchis bien, en métropole, je suis un parigo. Et même à Paris, puisque je suis né et j’ai vécu dans l’ouest friqué des beaux quartiers, je suis un bourgeois du seizième. On est toujours le mzungu de quelqu’un. Pour un mahorais d’ailleurs, un maghrébin, un polonais ou un turc est un mzungu, peu importe. A l’heure où j’ai quitté mes repères, largué les amarres, et où je ne sais plus d’où je suis ni où je vais, je suis très clairement identifié par ma seule couleur de peau ou mon accent pointu.
Partir à la Réunion en venant de Mayotte. Sans passer par la case Paris. Se rappeler que mes seules possessions sont dans un boxe d’1 mètre carré en banlieue Nord. Que ma sœur est en Inde, mes amis dispersés…  Mon monde change si vite aujourd’hui, alors que j’ai tout fait si longtemps pour refuser toute évolution, j’en ai presque la tête qui tourne. Les projets sont nombreux, mais rien n’est gravé dans le marbre, on verra ce qui adviendra. La seule certitude est l’endroit où je me trouve. Ce que je fais en ce moment. Et c’est déjà pas mal.
C’est l’histoire d’un mec… qui tournait en ronds. Qui ne trouvait plus de clé pour ouvrir la prochaine porte. Un premier voyage, comme un pas dans le vide, ou un appel au secours. Et hop… comme un départ en parapente en haute montagne, avec le courant ascendant qui semble te précipiter sur la paroi rocheuse, mais qui accélère au dernier moment, et t’emporte encore plus haut que ce que tu croyais possible. Là où tu n’aurais jamais mis les yeux.
Je suis un Mzungu. Et c’est ok pour moi. J’habite dans le nord de Mayotte. Il paraît que je m’appelle Borrhis, avec deux r et un h. Mais ceci est une autre histoire.

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