Dimanche midi au ralenti, techno à fonds chez mon voisin, je suis à moitié réveillé, je zappe sur la télé, vais un peu sur internet, je vaque à divers trucs inutiles mais qui m’occupent l’esprit.
Tout pour ne pas penser à ce dos qui me tue… Je voudrais courir me frotter à un palmier, me mettre la peau à feu et à sang, n’importe quoi pour que ça cesse. Plonger mes doigts là-dedans et
gratter, gratter, gratter… Je sais que je ne pouvais pas passer autant de temps à Mayotte sans attraper un truc un tant soit peu tropical, mais là je suis servi… J’ai attrapé une
bourbouille.
Bon rien de grave, rien de sexuel ou de contagieux, même si phonétiquement on peut se poser la question. La bourbouille est une charmante affection bien connue ici, éruption de boutons de chaleur
en nappes étendues qui sont censés gratter un peu. Un peu ?? UN PEU !!!!!! Merde alors. Je deviens dingue, je me réveille la nuit, je tourne en ronds pendant des heures, et
je ne sais pas ce qui me retient de ne pas réveiller Lucie en la secouant, pour qu’elle me soulage de cette horreur qui me ronge le dos.
Le ciel s’assombrit depuis quelques minutes. Vais-je avoir la chance de pouvoir me placer sous une belle averse tropicale ? Les différentes lotions ne marchant pas et le talc m’énervant pas
mal… Je tente l’eau de pluie, qui paraît-il est très efficace. Et je me retrouve à midi, en caleçon, sous la pluie qui tombe par seaux… comme un con. Sympa mais un peu long, personne ne
sait combien de temps il faut rester sous l’eau… A force d’écouter la musique du voisin, je me retrouve à danser, machinalement, puis je commence à vraiment me marrer, et en un rien de temps je
suis à fonds.
Normalement personne ne me voit, mais je m’en fous. J’aurai bien rigolé… Danser à bloc, seul presque nu sous la pluie, même pas bourré, un dimanche midi dans mon jardin. Quelle bonne façon
de commencer une journée.
Et oui je peux danser, depuis trois semaines je n’ai plus de béquilles. Je marche de nouveau normalement. Deux mois et demi à avoir mal, j’aurais cru prendre un pied incroyable au moment de
lâcher ma béquille… mais ça s’est fait sans bruit, presque sans y avoir fait attention, comme si la normalité était une évidence. De temps en temps j’y repense et je me rends compte du bonheur de
pouvoir simplement marcher. Mais ça ne dure jamais longtemps. Et c’est sans doute mieux comme ça.
Un mois et demi de dingues à préparer notre emménagement avec Lucie… Un mois et demi en apnée. Courir dans tous les sens… Trouver de bonnes affaires, sillonner l’île pour dénicher meubles,
matelas et diverses babioles à partir d’annonces d’occasion. Bricoler le reste à partir de palettes et de parpaings. Bosser le matin et foncer l’après-midi… Pour un peu j’avais l’impression de
vivre à Paris. Journées épuisantes à se coucher à neuf heures et se réveiller à cinq heures trente. Avec la frustration de voir le lagon ou la forêt tropicale au détour de chaque tournant et de
ne pas en profiter.
Déménagement le premier mars, avec Boris encore en béquilles qui ne peut pas aider. Qui n’a pas le droit de porter. Qui ronge son frein patiemment… ou pas d’ailleurs. En louant les services
d’un Monyé et de ses fils, leur camion et leurs jambes en bon état. Et la folie qui continue… meubler, bricoler, trouver la perle rare.
Joie de la rencontre avec l’administration mahoraise, eau, électricité, téléphone… Comme en métropole, mais dans la chaleur humide, et la lenteur pas toujours bienveillante des préposés aux
guichets qui nous accueillent. Il est loin le temps béni de l’été dernier où, hébergé par l’hôpital, je choisissais avec insouciance une plage différente chaque après-midi. Je vis
vraiment à Mayotte cette fois. L’envers du décor c’est toute la paperasse et l’administratif qui entourent et étouffent nos vies où qu’on soit, même sur une île tropicale.
Tout ça avec l’aide du nouveau membre de la famille : « Little Daisy », ma vieille 206 vrombissante, poussiéreuse et pleine de fourmis. Le doux feulement d’un bombardier B52 en
piqué en plein Pacifique à l’automne 1942. Et l’empreinte blanchâtre d’un cul radioactif sur le capot. Si je vous dis que toutes les portes ne s’ouvrent pas, que le coffre ne ferme pas à clés, et
qu’il y a un trou à la place de l’autoradio, vous pouvez imaginer que la clim a dû décéder aux alentours de l’an 2002. On essaie d’éviter les routes de montagne à présent, vu que Son Altesse
Sérénissime chauffe à s’en péter la rate et hoquète désespérément dès que la pente s’élève.
Nous habitons une jolie maison mahoraise de plein pied, composée d’un énorme salon, trois pièces, une immense baignoire d’angle dans la salle de bains, sans compter les inévitables « meubles
Dubaï », monstres impassibles de bois massif sculptés d’ananas et de fruits tropicaux, empereurs du kitsch importés du Moyen Orient et rigoureusement intransportables par des moyens
humains. Deux jardins-terrasse peuplés d’hibiscus et d’un magnifique palmier voyageur nous accueillent quand on rentre le soir… Enfin chez nous. On est posés et on revit. La
crémaillère fut assez inoubliable… Un grand n’importe quoi ! Totalement délirant. Et bien entendu irracontable. Nos voisins nous parlent encore, c’est toujours ça...
Je vis à vingt-cinq minutes du dispensaire, vingt-cinq minutes d’une splendide route de montagne tout en lacets au beau milieu de la forêt tropicale. Tant que « Little Daisy » acceptera
de rouler.
La vie à Mayotte continue. La saison des pluies s’étire à n’en plus finir, et les mangues ne sont plus qu’un lointain souvenir… L’hiver approche, là où commencent les alizés… et la fraîcheur.
Enfin…